« Société sans pères, société sans repères »

 

Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé, prêtre salésien de Don Bosco,

nous donne son point de vue d’homme de terrain dans l’actualité des manifestations contre l’extension de la PMA à toutes les femmes.

 

 

 

 

« Voici donc qu’une soixantaine de députés (je me demande où étaient donc les autres élus qui n’étaient pas présents pour ce vote aussi important pour l’avenir de notre société !) ont légiféré pour faire passer le droit de la femme à avoir un enfant avant le droit de l’enfant à avoir un père ! Le désir de l’adulte passe ainsi avant le respect de l’enfant.

Alors que l’on pouvait se réjouir, durant ces dernières décennies, de voir les pères s’impliquer davantage dans la prise en charge quotidienne du petit enfant, voici qu’au nom d’une soi-disant modernité, qui signifie en fait un véritable retour en arrière, la société se déclare prête à gommer complètement le rôle du père. Elle le juge superfétatoire, en ce qui concerne le développement de l’enfant.
Et pourtant, dès la petite enfance, le père constitue en quelque sorte un rempart contre le risque d’un amour fusionnel avec la mère, qui pourrait entretenir l’enfant dans un sentiment de toute puissance. Celui-ci découvre que ce n’est pas lui qui fait la loi, mais que celle-ci relève d’une dimension extérieure à lui.

Certains auteurs, comme Jacques Arènes, pensent que le manque de père est plus préjudiciable au garçon qu’à la fille, surtout au moment de l’adolescence. En effet, le futur adulte se construit en s’identifiant au parent du même sexe. Il est nécessaire au garçon de trouver une présence masculine, lui permettant de se comparer, de se jauger, en ayant accès à sa propre agressivité et en en trouvant les limites.

 

Les dommages liés à l’absence du père

Pour ma part, ayant travaillé durant plusieurs décennies à la direction de foyers relevant de la protection de l’enfance et habilités par le ministère de la justice, je puis témoigner que la plupart des adolescents que j’ai pu accueillir, auteurs de comportements particulièrement problématiques au regard de la loi, avaient le plus souvent pour caractéristique commune l’absence du père dans leur milieu familial. Bien des juges pour enfants le confirmeront.

Bien sûr, il ne faut pas généraliser. Et on me dira que bon nombre d’enfants grandissent de manière équilibrée au sein de familles monoparentales ou homoparentales. Ils témoignent de leur bonheur de vivre, alors que d’autres enfants grandissant dans des familles dites « traditionnelles » peuvent être victimes de maltraitance. Tel est l’argumentaire qui ne cesse de circuler aujourd’hui sur tous les plateaux de télévision, et qui est repris par la ministre de la santé.

 

Programmer la naissance d’enfants « sans père » ?

Mais j’oserai une parabole, qu’il ne s’agit pas bien sûr de prendre à la lettre. Loin de moi en effet l’idée de vouloir comparer difficulté d’ordre psychologique et handicap physique ! Je connais des enfants nés « sans bras » qui sont heureux de vivre. Ils grandissent dans un environnement familial épanouissant. Alors que d’autres enfants, valides, vivent de grandes perturbations au sein d’une famille disloquée. Ceci est indéniable ! Mais, fort de ce constat, il ne viendrait à l’idée de personne de programmer la naissance d’enfants « sans bras ».

Or, telle est la question qui se pose aujourd’hui. A-t-on le droit, d’un point de vue éthique, de programmer la naissance d’enfants « sans père » ?

La mise en garde récente de l’Académie de médecine me semble devoir être prise en compte, et il me paraît bien inconséquent de la balayer d’un revers de main. Certes, les conséquences ne seront pas immédiates. C’est au moment de l’adolescence que les problèmes surgiront de manière importante, tant la question du père se pose souvent de manière cruciale à cet âge.
Puissent les jeunes de demain ne pas reprocher aux adultes que nous sommes aujourd’hui d’avoir voulu sciemment effacer le rôle du père !
« Société sans pères, société sans repères » dit un adage bien connu. L’avenir nous dira s’il était bien-fondé… »

 

La Croix le 08/10/2019